SCANDINAVIAN-CANADIAN STUDIES/ÉTUDES SCANDINAVES AU CANADA
Vol. 20 (2011) pp.72-90.

Title: Analyse métahistoriographique du cas du norvégien

Author: Narcís Iglésias
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John Tucker University of Victoria
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Source(s): Iglésias, Narcís. 2011. Analyse métahistoriographique du cas du norvégien. Scandinavian-Canadian Studies Journal / Études scandinaves au Canada 20: 72-90.
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  • Norwegian language
  • language standardization
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Analyse métahistoriographique du cas du norvégien

Narcís Iglésias

ABSTRACT: In the current studies devoted to standardization, the Norwegian language is always presented as a special case. From a meta-historiographical approach, my article analyses the international literature focused on the history of the Norwegian language in order to highlight its main vectors. This article leads also to the general discussion of the epistemological foundations of the history of languages and sociolinguistics (mainly the standardization), and the relations between both disciplines. This discussion is based on the contributions to this topic coming from the current Swiss school of Historical Sociolinguistics and from a new approach to Einar Haugen and the origins of the sociolinguistics.
RÉSUMÉ : Dans les études actuelles dédiées à la standardisation, la langue norvégienne est toujours présentée comme un cas de grand intérêt par son modèle à deux standards. Suivant une approche métahistoriographique, notre article analyse la bibliographie internationale relative à l’histoire contemporaine du norvégien afin de mettre en évidence ses principaux vecteurs. Finalement, les fondations épistémologiques de l’histoire des langues et de la sociolinguistique (principalement, la standardisation), ainsi que les relations entre ces deux disciplines, sont l’objet d’un débat. Cette discussion se base sur les contributions à ce sujet provenant de l’école suisse actuelle de Sociolinguistique Historique et de notre approche à Einar Haugen et aux origines de la sociolinguistique.
Les locuteurs du norvégien croient que leur langue a tenu une place fondamentale dans leur vie depuis le XXe siècle. Des chercheurs tels que Dag Gundersen et Gregg Bucken-Knapp ont défendu cette impression. Gundersen (1977 247), lors d’une tentative d’analyser les succès et les échecs de la réforme orthographique du norvégien contemporain, a soutenu que les norvégiens étaient persuadés que «nowhere on earth can a comparable amount of time, energy, brain power, and money possibly have been spent on language questions.» Gundersen a lui-même apporté quelques données quantitatives visant à illustrer ce sentiment général : concernant la réforme linguistique, il a répertorié jusqu’à 950 publications éditées sur une période de 100 ans, de 1866 à 1966. À son tour, Bucken-Knapp (233) a remarqué l’importance de la question linguistique dans l’agenda politique depuis le XIXe siècle et a catégorisé la langue en tant que sujet de débat appartenant à la dialectique centre-périphérie et en tant qu’objet d’étude prééminent parmi les sciences sociales.

1. La langue norvégienne, un cas exceptionnel

Ce n’est pas par hasard que les sciences du langage se sont particulièrement intéressées à la langue norvégienne. La sociolinguistique l’a souvent choisie en tant qu’étude de cas dans la discipline de la standardologie. Aux origines de la sociolinguistique, Ferguson a pris en compte pour ses propos taxonomiques le norvégien comme cas de « bimodal standardization », à côté du grec et de l’arménien. Cette classification a connu un tel succès que, à l’heure actuelle, le norvégien est souvent analysé en raison de son modèle de standardisation dans les grands ouvrages scientifiques de synthèse de connaissances linguistiques : d’un côté, dans un Handbook of Sociolinguistics, Ulrich Ammon (1989 92) a repris le concept de Charles A. Ferguson et, selon cette même orientation, a aussi qualifié le cas du norvégien comme duomodal, terme qu’il a également utilisé pour le grec ; d’un autre côté, dans le Handbook of the Nordic Languages, Ernst Hakon Jahr (1635) considère que l’histoire de la langue norvégienne du XXe siècle se distingue par «this two-standard situation», dans le but de présenter «the Samnorsk [i.e., Pan-Norwegian] policy». À cause de son modèle à deux variétés standards (bokmål et nynorsk), le norvégien a été présenté en tant que paradigme de l’exceptionnalité: Suzanne Romaine (118) a décrit la Norvège comme «the only European nation with such a linguistic state of affairs», tandis que Jahr qualifie de «special case» l’histoire contemporaine du norvégien.
Cet article se centrera sur l’analyse métahistoriographique de l’histoire d’une langue, le norvégien, qui est devenue l’étude de cas par excellence dans la discipline de la standardologie. À partir de son historiographie internationale, produite en français et en anglais, nous mettrons en relief les vecteurs les plus marquants de son histoire (sections 3 et 4). Cette approche nous amènera, d’une part, à analyser le type de perspective ayant intéressé la standardologie et, d’autre part, à problématiser la relation entre deux disciplines telles que l’histoire de la langue et la sociolinguistique (section 5).
Dans le cadre de la métahistoriographie relative à l’histoire de la linguistique, récemment Pierre Swiggers (2009) s’est référé à l’importante tradition de cette discipline, qui remonte à la décennie de 1980. Cette approche métahistoriographique, par contre, n’est probablement pas si fréquente en ce qui concerne l’histoire des langues ni en ce qui concerne l’histoire de la sociolinguistique. Konrad Koerner (119) a d’ailleurs regretté le manque d’intérêt de la sociolinguistique pour sa propre histoire et a soutenu que «a scientific field reaches some level of maturity when it begins to be aware of its history.» Quant à l’histoire des langues, dans certains milieux, d’importants travaux métahistoriographiques existent déjà : par exemple, dans le cas du français, l’accent a été mis sur la modélisation de son histoire selon des lignes directives assez claires : d’un côté, sa vocation à devenir une langue universelle depuis la Révolution française (Keisuke Kasuya) et, d’un autre côté, le fait d’avoir été conçu historiquement comme l’unique langue de l’État (Sylvain Auroux 2009).
Malgré tout, la nécessité des perspectives métahistoriographiques dans l’histoire des langues a été réclamée par différents chercheurs. Auroux (2006 110) a relevé l’importance de cette discipline pour l’étude de l’histoire des sciences en général :
Il me semble que l’on ne peut sérieusement aborder la question de l’histoire des sciences sans étudier la constitution et la structure des horizons de rétrospection, ainsi que la façon dont les domaines d’objets sont affectés par la temporalité, ce que l’on peut appeler les modes d’historicisation.
Dans cette même étude, Auroux (2006) s’est interrogé sur les bases épistémologiques de la science et de l’histoire linguistique en particulier, et il s’est demandé ce que représente écrire l’histoire d’une science : pour cet auteur, étudier l’histoire des sciences—et par conséquent celle de la langue également—implique, d’une part, la capacité à établir des chronologies et des liens de cause et effet, et, d’autre part, le fait de partager « un horizon de rétrospection » : «l’ensemble de ‘connaissances antécédentes’ avant l’activité cognitive: elles peuvent être indexées, avec des auteurs, voire des dates» (Auroux 2006 107).
Afin de mettre en relief « l’horizon de rétrospection » de l’historiographie internationale du norvégien, nous proposons d’analyser à présent une question qui y est liée : la conception du temps dans les récits historiques. Les repères historiques (auteurs, dates ) peuvent, bien entendu, se situer à différents niveaux de temporalité. Cette question a été établie comme fondement épistémologique essentiel dans des approches où l’histoire et la sociolinguistique convergent. Plus particulièrement, elle a été abordée par Jan Blommaert depuis le domaine des idéologies linguistiques et, récemment, par Sara Cotelli depuis la sociolinguistique historique. Ces deux chercheurs ont basé leur réflexion sur le concept de « longue durée » de Fernand Braudel afin de mettre en question la notion de temps linéaire et de défendre une vision du temps, selon les propos de Cotelli (17), «plurielle, dynamique et multi-stratique», dans laquelle se combinent au minimum deux conceptions de la temporalité: « le temps long » et « le temps court ».
En fait, l’histoire n’est pas seulement continuité, de n’importe quel type, mais également rupture, question ayant été analysée par Leduc à partir des réflexions développées sur ce sujet par les historiens français. Afin de dépasser la perspective traditionnelle de l’histoire « (histoire événementielle) », liée au « temps court », l’historien Braudel, déjà dans sa thèse de 1947, privilégia une vision de l’histoire des «profondeurs», des «grands courants sous-jacents», point de vue connu comme celui de « longue durée ». Cette conception du temps a connu une crise : à partir des années 80, une conception de l’évolution historique en tant que « progrès par bonds » a vu le jour.
C’est depuis cette double notion de temps historique (« la longue durée » vs « les progrès par bonds ») que nous analyserons, à partir de l’historiographie internationale, les vecteurs les plus importants de l’histoire du norvégien ; dans ce but, nous établirons d’abord les repères historiques qui permettent de situer le phénomène (section 2). Dans les sections suivantes (3 et 4), nous combinerons les deux perspectives temporelles qui découlent, d’après notre analyse, de l’historiographie du norvégien : celle de continuité (« la longue durée ») et, en même temps, les moments dits de rupture (« les progrès par bonds »). Finalement, dans la dernière section (5), les rapports entre l’histoire de la langue et la sociolinguistique seront l’objet d’un débat.

2. Repères de la question de la langue en Norvège : a perennial issue of politics

On ne saurait connaître une science sans en connaître l’histoire (August Comte)
Après quatre siècles d’appartenance au Danemark, la Norvège acquiert finalement son indépendance en 1814. L’histoire d’une langue commune, le Faellessproget, la langue écrite dano-norvégienne entre le XVe et le XVIIIe siècles, était en train d’être réécrite au cours de la nouvelle étape nationale. Après 1814, le dano-norvégien est resté la langue nationale : sans lui, il n’y aurait pas eu de culture norvégienne antécédente : «the essential argument for conserving Dano-Norwegian as ‘Norwegian’ after Norway’s independence was that Dano-Norwegian was a bearer of culture, that without it Norway would have no culture at all» (Burgess 83).
On pourrait affirmer que Henrik Wergeland (1807–1845) avait prévu le déroulement de l’histoire du XIXe et XXe siècles dans son article « Om norsk Sprogreformation » [‘À propos de la réforme de la langue norvégienneʼ] : en 1832, Wergeland avait prédit que «le profit et honneur d’une langue développée indépendamment» coûterait «une guerre civile littéraire» aux Norvégiens (Haugen 1966 27). Il s’agissait d’une guerre littéraire, provoquée par la langue—les langues—des livres et des imprimés en général, mais ayant aussi constitué un champ de bataille de la lutte sociale et politique. La lutte pour la langue en Norvège a été totale, tout au début dans le terrain de la codification. Vers le milieu du XIXe, a lieu la fondation respective des deux langues norvégiennes, le landsmål et le riksmal. Après avoir dressé les premiers travaux dialectaux, Ivar Aasen (1813–96) profita des données linguistiques recueillies pour publier une grammaire et un dictionnaire de la langue rurale : Det norske Folkesprog Grammatik [Grammaire de la langue populaire norvégienne] en 1848 et Ordbog over det norske Folkesprog [Dictionnaire de la langue populaire norvégienne] en 1850. Cette langue sera connue comme le landsmål, terme n’ayant d’ailleurs jamais été employé par Aasen. La norme du landsmål (Lm) avait pour base les dialectes ruraux des régions de l’ouest et du Midland, ceux-ci étant les moins influencés par le danois et le suédois, et les plus proches du norvégien ancien. Selon Haugen (1966 33), une toute nouvelle langue écrite, «an entirely new tradition of writing based on the rural dialects», venait de naître.
C’est à peu près au cours de ces mêmes décennies qu’une autre langue norvégienne sera codifiée, le riksmål (langue du royaume), grâce aux publications de Knud Knudsen (1812–95), «a schoolman who was the first to identify and isolate the Colloquial Standard, which he called byfolkets talesprog (the spoken language of city people)» (d’après Haugen 1966 32). En 1856, Knudsen publia Haandbog i Dansk-norsk Sproglære [La grammaire du dano-norvégien] et en 1876, Den landsgyldige norske uttale [La prononciation norvégienne de toute la nation]. Il initia alors un processus de norvégisation de la phonétique : «Knudsen worked untiringly for the modification of Danish spelling by the introduction of forms from the Colloquial Standard» (Haugen 1966 32); son œuvre sera revendiquée après sa mort, notamment à partir de la réforme de 1907.
À la fin du XIXe siècle, la situation de la langue littéraire est apparemment contradictoire. En 1897, Arne Garborg s’exprime en ces termes :
On n’a pas atteint une langue norvégienne de culture. Mais on a deux langues. L’une est norvégienne, mais elle n’est pas encore une langue de culture ; l’autre est une langue de culture, mais elle n’est pas encore tout à fait norvégienne. (Garborg 1897 10; cf. Haugen 1966 1–2)
Les deux langues norvégiennes étaient instables, aussi bien par rapport à la culture (ce serait le cas du Lm) que par rapport à la perception sociale (ce serait le cas du Rm). Or, bien avant la fin du XIXe siècle, la question linguistique arrive sur la scène politique, d’où elle n’en sortira jamais : «No issue of internal policy», a soutenu Haugen (1966 2), «has been more perennial or more upsetting than this one [le problème de la langue]» .

3. Le processus graduel menant vers une reconnaissance légale de l’égalité : un vecteur de l’historiographie concernant la langue norvégienne

Tout au long du processus de promotion sociopolitique des deux variétés norvégiennes, se produisent certains moments de rupture, de changement. Différents spécialistes ont coïncidé en fixant l’année 1885 comme date fondatrice de la politique linguistique libérale de la Norvège. Cette année-là, le Storting, le parlement norvégien, approuva l’officialité des deux langues selon un statut paritaire, fait constaté par tous les spécialistes (Haugen, Gundersen, Bucken-Knapp). À cette époque, la langue ayant le moins de locuteurs et étant culturellement peu représentée, avec moins de 100 ouvrages publiés, était le Lm, selon Bucken-Knapp (47). Malgré tout, les Norvégiens abordent la question linguistique non pas à partir d’un fonctionnement uniformisé de l’État et de la société ni à partir du poids social de chaque variété (loin d’être équilibré), mais bien à partir du respect légal sur un même plan des deux principales traditions linguistiques, des deux langues standards. La loi de 1885 fut possible grâce au soutien du Venstre, le parti libéral, de sorte qu’elle représente aussi la victoire de l’idéologie libérale, n’étant pas forcément nationaliste, face aux conservateurs de l’époque, qui s’étaient opposés à cette loi. Si aux yeux des libéraux, la démocratie ne devait plus être dirigée par l’aristocratie comme sous l’ancien régime, les langues des citoyens devaient avoir un statut paritaire sur le plan légal.
C’est au cours de la dernière décennie du XIXe siècle que sont apparues des initiatives législatives visant à introduire le Lm à tous les niveaux de l’éducation. Il est alors implanté dans les Écoles de formation des enseignants en 1890. Deux ans plus tard, en 1892, les comités scolaires locaux obtiennent le droit de choisir la langue écrite de leurs écoliers et tous les étudiants doivent dès lors apprendre à lire le Lm. Quelques années après la mise en place de cette loi, 20% des académies scolaires avaient choisi le landsmal comme langue véhiculaire de l’éducation. Á la fin du siècle, en 1899, un poste d’enseignant de Lm est créé à l’Université d’Oslo. Cette politique d’introduction du Lm dans la vie officielle, et surtout dans le secteur de l’éducation, se poursuit au cours des premières années du XXe siècle. En 1902, une loi oblige tous les enseignants à passer un examen écrit en Lm. En 1907, une autre loi contraint tous les étudiants de baccalauréat gymnasia à démontrer un niveau suffisant à l’écrit, dans les deux langues : deux dissertations en Rm et une troisième, plus simple, en Lm. En 1908, les étudiants universitaires ont le droit de choisir le Lm pour leurs examens de fin d’année. L’essor du Lm se poursuit également dans le cadre administratif et politique : à partir de 1913, les discours des parlementaires peuvent être publiés en Lm et, depuis 1925, l’administration a l’obligation de répondre au citoyen dans la langue utilisée par ce dernier.
Toutes ces lois tendent en fait à faire converger la politique linguistique en Norvège vers une orientation bien précise: au sens large du terme, celle d’un statut juridique et administratif paritaire des deux langues. Or, la progression officielle des langues norvégiennes n’a pas suivi une seule et même direction. L’histoire de la langue norvégienne offre d’autres vecteurs qui devraient être pris en compte. L’histoire du norvégien peut être considérée comme un modèle non seulement par le vecteur de la politique de correspondance légale des deux standards que nous venons de mettre en évidence de façon succincte, mais aussi par sa politique de convergence vers une langue commune (Bucken-Knapp 2003 ; Gundersen 1977, 1983, 1985 ; Jahr 2005).

4. À la recherche d’une convergence vers une langue commune : l’autre vecteur de l’historiographie concernant la langue norvégienne

Tout au long du XXe siècle, l’État et les hommes politiques mirent en œuvre un ensemble d’initiatives législatives visant également à faire converger les deux langues. Même si depuis le XIXe siècle, et notamment au cours de la décennie de 1880, l’histoire du norvégien s’avère être un modèle de choix libéral face au problème présenté par l’établissement d’une langue standard, cette situation n’a pas empêché le surgissement de tentatives pour mettre en place une certaine politique d’uniformisation ou encore, plus concrètement, de convergence des deux langues, tentatives qui se sont répétées tout au long du XXe siècle. Le moment de rupture, fondateur d’un nouveau vecteur, se produisit au début du XXe. C’est en 1907 que débutèrent les essais pour faire converger les deux langues dérivées. C’est aussi en 1907 qu’une réforme du Rm fut mise en place : la dédanisation de la langue, processus déjà en cours depuis quelques décennies. Cette réforme mit fin au sentiment que le Rm ne serait pas vraiment une langue norvégienne et, à ce moment alors, selon Haugen (61), «the main feeling was one of liberation, and gratification that Rm had at last emerged from its Danish chrysalis as a Norwegian language The spelling reform of 1907 had only revealed in all its nakedness the wide gap between the two languages». Cet important décalage sera réduit—ou c’est, tout au moins, ce qui est recherché—dans les réformes postérieures à 1907 : 1917, 1938, 1959 et 1981. Ces différentes initiatives législatives, qui comprennent toutes le fait linguistique, ont concerné les deux langues, dans un but bien défini : «to bring both standards closer together», selon les termes de Gundersen (1977 252); et (1985 285). Les jalons de cette politique sont donc très clairs (Indstilling, 1917 ; cf. Haugen 1966 85). La finalité politique n’était pas évidente : en 1919, les hommes politiques discutèrent pendant trois jours sur cette réforme, et jusqu’en 1931, elle ne sera pas prise en compte par le journal de Carl Hambro, journaliste et parlementaire depuis 1918.
Les réformes postérieures, mises en œuvre entre 1930 et 1960, se produisirent dans un contexte politique dominé par le parti socialiste, le DNA : ce parti préconisait un norvégien commun représentant les travailleurs et les paysans, projet unificateur qui, d’après Bucken-Knapp (98), «neatly encapsulates its role as cultural guardians of the Norwegian ‘underclass’». Cette politique rencontra une forte opposition de la part des partisans du Lm, le Noregs Mållag (mouvement linguistique fondé en 1906), et de ceux du Rm, le Riksmålforbundet, fondé en 1909 et qui avait eu comme prédécesseur la Kristiania Rigsmaalforening, ainsi que de la part d’autres partis politiques comme ceux conservateurs.
Après toutes les réformes qui envisageaient la convergence des deux langues, le sentiment qu’un processus d’uniformisation était en phase d’établissement s’installa. «There has even been a general feeling», a soutenu Gundersen (1977 252), «that the ultimate outcome would be the assimilation of both into ‘common Norwegian’ samnorsk standard». Cependant, malgré les efforts politiques visant à une convergence entre les deux langues et malgré les changements socio-économiques qui ont entraîné une minorisation du Lm, la situation particulière de bilinguisme en Norvège n’est pas du tout en phase de disparition. Depuis quelques décennies, le Lm a en effet une présence stable dans les écoles et dans les médias. Même si cette langue a une base sociodémographique beaucoup plus réduite, elle est régulièrement présente dans tous les domaines de la culture (édition, presse, théâtre, télévision, etc.) et, bien entendu, dans l’administration (école, fonctionnaires, panneaux publics, etc.). Bien que les efforts politiques ayant conduit vers une langue unique aient été poursuivis tout au long du siècle dernier, la convergence ne s’est absolument pas produite : la réalité a emprunté d’autres voies et ce en raison de toute une gamme de nuances présentes dans chaque langue, qui a fini par rendre plus complexe le processus de standardisation. Face à cette situation, le locuteur a le sentiment qu’il vit une situation linguistique chaotique, comme Gundersen (1983 285) a pu conclure : «depuis la réforme de 1981 le nombre d’options est plus grand que jamais, l’utilisation moyenne de la langue se retrouve face à une situation dont la complexité lui [au locuteur] échappe et qui a quelque chose de chaotique».
Après tout ce parcours, on pourrait se demander si les deux vecteurs qui découlent de l’historiographie peuvent se compléter. Pendant deux siècles, la question linguistique a été codifiée, aussi bien dans le milieu privé que dans le milieu politique et officiel. Cette codification a suivi deux directions différentes : l’une, d’aménagement d’une politique libérale dans le but de mettre deux vraies langues standards sur un même plan juridique, l’autre, de convergence, plus ou moins stratégiquement uniformisatrice selon le moment historique. Ce paradoxe historique, d’après une lecture qui fait abstraction de l’évolution historique concrète pour en extraire les vecteurs les plus saillants, peut être mieux compris grâce à une synthèse, la meilleure à notre avis, pouvant être extraite de l’historiographie : c’est, plus particulièrement, Haugen qui a offert cette très belle vue d’ensemble :
Language planning in the nineteenth century brought into being two Norwegian languages of writing in response to the search of the Norwegian people for an identity of its own. Twentieth-century planning has largely been directed toward healing the cleavage, with the ultimate goal of giving Norway a single standard language. In the nineteenth century the planning was mostly private, but its involvement in the national and social issues of the day insured the entry of official planning, which became dominant in the twentieth century. (Haugen 1966 303)
Dans cette synthèse, le grand norvégiste est capable de souligner les deux vecteurs les plus importants de l’histoire de sa langue d’étude, tout en précisant que chaque vecteur est prépondérant dans deux sphères (celle privée et celle publique) et dans deux longues durées différentes (un vecteur étant assigné pour chaque siècle), ce qui présuppose qu’il y a eu un moment de rupture entre les deux vecteurs qui permettrait de justifier le changement de direction historique. L’abstraction du processus repose sur une profonde connaissance des événements historiques concrets et complexes, et une grande capacité d’interprétation sociolinguistique. Haugen est un chercheur pouvant être revendiqué au-delà de ses apports théoriques dans le domaine de la standardologie, ce que nous allons mettre en relief dans la section suivante.

5. Histoire et sociolinguistique, deux disciplines antagonistes? Deux propositions

C’est la théorie qui décide de ce que nous pouvons observer Albert Einstein
Comme nous avons souligné tout au début de cet article, la sociolinguistique a eu recours au cas du norvégien comme langue paradigmatique de l’exceptionnalité (Romaine et Jahr) ou comme étude de cas dans une certaine taxonomie des modèles de standardisation (Ferguson, Ammon 1989, 2005). Pour établir ces classifications, la standardologie n’a pas tenu compte de l’histoire de la langue en tant que grand champ de données pouvant indiquer différents vecteurs, et a choisi un aspect bien déterminé de l’histoire du norvégien : le trait considéré comme le plus saillant a été la coexistence de deux variétés standards, le bokmål et le nynorsk. Cette taxonomie s’isole par rapport à ce qui a constitué un « horizon de rétrospection » (dates, auteurs, faits, causes) partagé par l’historiographie, mais ne peut s’empêcher d’avoir recours à des concepts que celle-ci a co-construit (les noms des deux variétés norvégiennes en sont l’exemple paradigmatique) : depuis cette optique, la sociolinguistique relève de l’historiographie, en fixant des types et des concepts construits historiquement et en les isolant de leur contexte socioculturel d’origine afin de les recontextualiser au sein d’une théorie de la classification des langues standards. Cette approche constitue le fondement épistémologique essentiel de l’historiographie en elle-même ; le grand penseur et philosophe de l’histoire Walter Benjamin (1980) avait d’ailleurs déjà observé que la vraie historiographie fait sortir son objet du cours historique.
Cette perspective maintient de clairs parallélismes avec les domaines d’étude se centrant sur les liens interdisciplinaires d’un auteur ou d’un phénomène au-delà de son contexte socioculturel. Plus particulièrement, depuis l’histoire de la culture, les textes ou documents artistiques, ceux-ci étant compris au sens large (de la littérature à la musique), peuvent être interprétés en faisant abstraction de leurs spécificités contextuelles : un tableau de Delacroix, un poème de Byron et une symphonie de Berlioz peuvent être, d’après Iouri Lotman «rédui[ts] à des variables d’un certain type d’invariant» (51).
D’une certaine manière, la théorie de la standardisation convertit aussi en type une situation linguistique d’un moment historique déterminé—elle la typifie—et fait abstraction du contexte sociopolitique expliquant le processus historique : suivant cette optique, on peut affirmer que la théorie de la standardisation fixe un présent statique (infini, invariant) dans le but de pouvoir insérer ses conceptualisations dans un cadre théorique qui prétend expliquer en premier lieu la typologie des langues standards. Cette approche abstraite isole le présent (un présent) de l’histoire, c’est-à-dire, d’une continuité historique de longue durée et, par cette opération, détache la sociolinguistique de l’histoire.
Cette vision théorique n’est, cependant, pas l’unique en vigueur : il y a d’autres perspectives possibles, elles-mêmes provenant aussi de la sociolinguistique, insistant sur la pertinence de situer les faits linguistiques dans un cadre temporel ; nous pouvons les justifier soit sur base des travaux de chercheurs actuels, soit à partir d’une nouvelle interprétation des origines de la sociolinguistique, nous centrant plus particulièrement sur l’un des plus grands chercheurs des années 60. En effet, d’un côté, à l’heure actuelle, un courant très récent de la sociolinguistique historique de milieu francophone met en question le fait que cette discipline ait une approche absolument différente de la sociolinguistique synchronique. D’un autre côté, nous pourrions aussi remonter aux origines de la sociolinguistique afin de réclamer une nouvelle lecture de l’ouvrage de Haugen, allant au-delà de sa figure de grand théoricien de la standardologie.
Depuis une perspective récente de la sociolinguistique historique en tant que discipline émergente et aux ambitions épistémologiques rénovées, ancrées en grande partie dans la sociolinguistique variationiste de matrice labovienne, différents auteurs du milieu francophone (Cotelli, Kristol, Duchêne) se sont accordés à remarquer l’historicité des données du présent qui correspondent, à priori, à la sociolinguistique synchronique. Selon Cotelli, la sociolinguiste historique et celle synchronique peuvent partager une approche commune, indépendamment de l’axe temporel, si l’on part de la prémisse que tout acte de parole est social et historique: tout texte «possède, de façon indissociable, un ancrage chronologique et socioculturel propre, de même qu’il s’insère dans une histoire discursive» ; de là, la conclusion de cet auteur (17) : «admettre que tout fait de langue est historique signifie aussi que la différence entre les études de la sociolinguistique synchronique et diachronique s’atténue : toutes deux doivent intégrer une approche historique». En ce qui concerne une analyse des idées des locuteurs au sujet de la situation actuelle du français par rapport à l’anglais, Alexandre Duchêne (131) a développé une réflexion parallèle à celle de Cotelli :
Ces idées, et les faisceaux idéologiques dans lesquels elles s’insèrent, présupposent toujours le constat d’une situation présente face à une situation antérieure, renvoyant de facto à la composante “historique” du moment de l’énonciation, du discours lui-même et de son contenu.
Quant à Andres Kristol (25–7), ce chercheur non seulement part de la base que toute recherche synchronique devient diachronique à partir du moment où elle est publiée (il donne l’exemple d’une étude de Gauchat de 1905 sur la variation interne du franco-provençal de Charmey), mais aussi arrive à considérer que la sociolinguistique historique et la sociolinguistique contemporaine​/​synchronique​/​moderne (terminologie étant de lui et servant à la distinguer de la sociolinguistique historique ou diachronique) se posent, toutes deux, les mêmes questions. On voit, donc, que ces trois chercheurs actuels (Cotelli, Duchêne et Kristol), tout en ayant des démarches particulières, s’accordent sur le fait d’effacer l’axe temporel en tant que ligne divisoire de la sociolinguistique. Mais laissons à présent de côté les apports actuels et passons aux origines de la discipline.
Les débuts de la sociolinguistique nord-américaine de 1960 furent le fruit de la confluence d’inquiétudes parallèles de différents chercheurs provenant de trois grandes disciplines : la sociologie, l’anthropologie et la linguistique (Christina Bratt et Roger W. Shuy). Lors de ces moments fondateurs de la nouvelle discipline, aucun historien ne s’impliqua. Kristol (25) a lui-même observé que la sociolinguistique des années 60 «est axée sur des faits observables en synchronie». L’unique exception, probablement, fut le norvégiste nord-américain Einar Haugen, qui participa activement à l’orientation de la nouvelle discipline. Haugen a été considéré fondateur d’un nouveau domaine d’étude, la standardisation, à partir de son article de 1959 « Planning for a Standard Language in Modern Norway », et ce sans tenir compte du fait qu’un des ses ouvrages postérieurs, Language Conflict and Language Planning : the Case of Modern Norwegian, était une théorie, mais aussi une histoire. Concernant ce dernier, il s’agissait, en fait, d’une histoire des réformes orthographiques du norvégien contemporain : dans l’introduction, Haugen (1966 2) déclare que son but est le suivant : «give an account of the so-called ‘spelling reforms’ of the twentieth century and the discussions that led up to them». Plus encore, cette œuvre-phare, toujours éblouissante, est un exemple de point de convergence de l’histoire et de la sociolinguistique.
En d’autres mots, au moment de la naissance de la sociolinguistique au cours de la décennie de 1960, Haugen publia un ouvrage d’histoire et, en même temps, de sociolinguistique. Comme le prouve très clairement la coexistence de ces deux types de perspectives chez un même auteur, les deux disciplines n’étaient pas contradictoires, mais bien complémentaires : le contenu de son ouvrage de 1966 (l’histoire des réformes du norvégien) se présente comme une étude de cas, un type, d’un processus sociolinguistique général, ce qui se voit reflété dans le titre même de l’oeuvre : Language Conflict and Language Planning. «His work has supplied», a soutenu Evelyn Firchow Scherabon (7) en valorisant l’ensemble des apports de l’éminent norvégiste, «a paradigm for the studies of the language problems of developing nations, now a flourishing branch of applied sociolinguistics».
Pour conclure, nous désirons insister sur le fait que, d’après notre analyse de l’approche de Haugen, il n’y a pas de conflit épistémologique entre l’histoire et la sociolinguistique ; bien au contraire, de la façon dont il envisage l’ouvrage, l’histoire d’une langue particulière devient un exemple d’un processus général qui pourrait être exemplifié par d’autres langues : dans ce sens, il arrive à exprimer explicitement sa volonté de suggérer des recherches analogues à d’autres chercheurs pour d’autres langues : «he hopes that questions may here have been raised and lines of research suggested that will be of value to students of similar problems in other countries» (Haugen 1966 IX). Haugen s’intéresse à l’histoire au bénéfice de la sociolinguistique : dans son premier article de 1959, relatif à l’aménagement linguistique, il insère un résumé de l’histoire du norvégien pour exemplifier ce en quoi le « language planning » a consisté jusqu’alors. De ce point de vue, l’histoire se transforme, grâce à l’approche sociolinguistique, en un champ d’interprétation des données qui permettent, d’une part, de ne pas se cantonner à un récit purement événementiel sans un cadre théorique précis et, d’autre part, d’offrir une vision partagée de l’histoire sociolinguistique des langues nationales, autonomes en raison de leur histoire et leur historiographie.
Comme au début de la sociolinguistique de 1960, tout comme dans la démarche de Haugen, l’histoire peut arriver à fournir des récits qui éclaircissent les lignes causales débouchant sur la situation présente (le cas du norvégien), cette dernière étant celle qui est choisie et privilégiée par la sociolinguistique dans sa quête pour comprendre le processus de standardisation et ses différents modèles. Comme nous avons tenté de démontrer dans cet article à partir de l’analyse du cas norvégien, la sociolinguistique et l’histoire de la langue partent de fondements épistémologiques différents, mais partagent un vaste champ d’intérêts. Chaque discipline pourrait s’enrichir de l’autre et s’obligerait ainsi à se poser de nouvelles questions à partir des principales contributions de l’autre discipline: l’histoire et la sociolinguistique pourraient alors s’avérer très proches, malgré les distances épistémologiques et l’éloignement des axes temporels. Einar Haugen, par exemple, n’hésita pas à effacer leurs possibles écarts.

Remerciements

Nous tenons à remercier particulièrement Florence Detry pour la révision linguistique de cet article, ainsi que Dan Nosell, professeur à l’Université d’Uppsala, Anne-Marie Chabrolle-Cerretini, professeur à l’Université de Nancy 2, et les relecteurs de la revue pour leurs précieux conseils.

NOTES

  1. En dehors des manuels scolaires, des publications institutionnelles et des articles de presse, ce recueil comprend toutes sortes d’imprimés. Cet article est inscrit dans le projet FFI2008-04496/FILO, soutenu par le Ministère espagnol (2009–11).
  2. «Political scientists and sociologists who focus on Norway locate language, along with religion and teetotalism, as one of the three important expressions of a peripheral counterculture movement that has been active with varying degrees of strength against the urban center of Oslo throughout the past century.»
  3. Dans la présentation des actes internationaux consacrés à l’histoire des réformes des langues, Claude Hagège (11–68) présente l’évolution de la standardologie. Dans le chapitre « Language Planning and Language Reform » du Handbook of Sociolinguistics, Denise Daoust (436–52) expose l’évolution du concept et en relève, en même temps, ses principaux apports.
  4. Pour Swiggers (2009), la tâche critique est propre à la métahistoriographie et, selon lui, consiste à «evaluar tipos de discurso historiográfico y de proponer un análisis y una apreciación de los planteamientos metodológicos y epistemológicos adoptados en los textos analizados». Cette approche est soutenue par une longue tradition d’études depuis les années 80 : Grotsch, Schmitter, Dutz, Elffers-Van Ketel, Koerner, Simone, Schmitter et Van der Wal, Dorta, Corrales et Corbella; cf. Swiggers (2009).
  5. Aurélie Joubert (84) parle du «modèle de l’État centralisateur», en se basant sur Anthony Lodge (3) et sur Daniel Baggioni (36).
  6. «La co-présence des connaissances est une modalité nécessaire de l’horizon de rétrospection (c’est ce que l’on appelle, aujourd’hui, les ‘références’ et qui figure en fin d’article sous forme bibliographique)».
  7. Expression qu’utilise Michel Vovelle: «La longue durée risque alors de se figer dans l’intemporalité d’une histoire immobile Ce que l’histoire montre aussi, c’est l’importance du progrès par bonds, de ce que l’on peut appeler des crises de sensibilité collective» (cf. Jean Leduc 47). Suite à la mort de Braudel (1985), cependant, la vision de l’histoire de la longue durée commence à entrer ouvertement en crise. En 1986, Jacques Le Goff, par exemple, tient le discours suivant : «non seulement je pense qu’il n’y a pas d’histoire immobile ; l’histoire, c’est le changement Le reproche majeur que je ferais donc à Braudel serait d’avoir introduit le temps immobile». De fait, la conception braudélienne du temps était déjà entrée en crise depuis longtemps. Les historiens marxistes s’étaient demandé, selon Leduc (46), si «à trop chercher ce qui dure, ne risque-t-on pas d’évacuer ce qui est rupture.»
  8. Aasen publiera sa grammaire définitive en 1864, et son dictionnaire en 1873.
  9. See Haugen (1966 35). L’opération n’a pas été très bien accueillie, y compris par ses acolytes. D’ailleurs, à l’âge de 23 ans, Aasen avait déjà dressé une première approche de son travail pour établir une langue écrite sur la base des dialectes ruraux. À cette époque-là, il distinguait entre le vort Almuesprog (la langue de notre peuple commun) et le vort Nationalsprog (notre langue nationale).
  10. Le nom de rigsmaal (postérieurement écrit riksmaal et actuellement riksmål) fut donné par l’écrivain Bjørnson en 1899 lors d’un discours, nom ayant été repris d’un article d’un journaliste rattaché au parti Venstre quelques mois avant. Le nom est une adaptation de l’allemand Reichssprache qui signifie «a spoken form of the common language which showed no markedly dialectal features» (Haugen 1966 47).
  11. «The Government is requested to take the necessary steps toward placing the Norwegian folk language [det norske Folkesprog] on an equal footing, as a school and official language, with the usual language of books and writings» (Haugen 1966 38); «parliamentary declaration giving Nynorsk and Bokmal/Riksmal equal status» (Bucken-Knapp 24)); «From that year on Norwegian has had two official written standards» (Gundersen 1977 251).
  12. Bucken-Knapp (46) a ouvert la voie à cette interprétation politique : «Casting official support for Nynorsk in terms of formal equivalency allowed it the chance to compete with Dano-Norwegian and was consistent with the emerging liberal ideology. As such, ‘formal equivalency’ implied that the state was guaranteeing the citizenry the right to choose from among two linguistic choices; however, it was not dictating what that choice should be, or to what extent the linguistic behavior of Norwegians should be altered». La loi égalitaire de 1885 n’est pas un fait isolé dans l’histoire norvégienne, mais il s’agit d’un élément fondateur d’une politique linguistique libérale à long terme. À travers cette démarche, les libéraux ont défié l’ordre traditionnel établi et ont donné un symbole à la nation. «In raising the status of Nynorsk to official status, the Liberals took a language that very few spoke, and that featured less than 100 written overall works, and elevated it to both a symbol of the newly independent Norwegian nation and the party that had successfully challenged the old aristocratic order» (Bucken-Knapp 47).
  13. Pour toute action législative, voir Haugen (1966 39–108) et Bucken-Knapp (24–35). Pour ce qui est du contexte politique et des stratégies des partis politiques, qui aboutissent à la loi de 1907, voir Bucken-Knapp (62).
  14. La réforme du Lm remonte à 1901, après la création d’un comité de linguistes. Le modèle de langue d’Aasen était perçu par ses confrères comme un modèle trop fondé sur les dialectes ruraux des fiords de l’ouest. C’est donc en 1901 que la première norme de la Hægstad fut instaurée (Haugen 1966 43–44).
  15. La réforme de 1917 incluait les deux langues. Le Rm devait être «nativized and democratized» et le Lm, «modernized»; pour des exemples d’usages réformés, voir Haugen (1966 90–5). Elle fut approuvée par le Storting, avec les votes favorables des libéraux, 74 sièges sur 123. De fait, au cours de cette même année de la réforme, 1917, toutes sortes de quotidiens et de publications se firent l’écho d’un débat public très riche et varié. Il convient de souligner, entre autres, le point de vue de l’écrivain Knut Hamsun (Haugen 1966 96–100).
  16. Bucken-Knapp (66–96) a exposé dans les moindres détails la politique du DNA favorable à un norvégien commun, qui fut officiellement mise en place en 1936. C’est dans le contexte d’hégémonie politique du DNA que la loi de 1938 fut approuvée. En 1963, le DNA abandonna sa politique favorable à un norvégien commun lors d’un processus de révision idéologique du parti lié aux changements sociaux et économiques de la décennie antérieure.
  17. Il faut souligner que la bibliographie choise n’évalue pas la décision parlementaire de 2005, qui décide, en fait, abandonner le programme samnorsk. Par conséquent, tous les changements qui ont été mis en place à partir de cette année, n’ont pas été tenus compte.
  18. Gundersen (1983 160) apporte des raisons socio-économiques : en 1900, 40% de la population travaillait dans le secteur primaire, tandis qu’au cours de la décennie, le chiffre tombe à 11%. Ce changement économique, lié au processus d’urbanisation et à l’immigration vers les villes des locuteurs du Lm, a entraîné le déclin progressif de ce dernier. Voir Vikør (66–92) et Gundersen (1983) au sujet de la langue de scolarisation et de la présence de chaque langue dans l’administration, la presse, le théâtre et les médias au cours des années 70 et 80.
  19. Selon Gundersen (1983 286), il existe six variétés de norvégien.
    1. Le nynorsk traditionnel (conservateur).
    2. Le nynorsk modernisé (radical).
    3. Le bokmål traditionnel (modéré).
    4. Le bokmål modernisé (radical).
    5. Le norvégien commun (ou samnorsk, sorte de bokmål unifié avec une structure de type nynorsk).
    6. Le riksmål (variété non officielle, plus traditionnelle encore que la variété 3).
    Le nynorsk (1 et 2) est la variété minoritaire (elle concerne environ 16% de la scolarisation) ; quant au riksmål, il n’a pas un caractère officiel bien que, depuis 1972, ses partisans puissent participer aux réformes entreprises par le Conseil de la langue norvégienne (en 2005, il a été réorganisé; même son nom a été changé : despuis 2005 il s’appelle tout simplement Språkrådet, le Conseil de la langue, en substitution de son ancien nom, Norsk språkråd, le Conseil de la langue norvégienne). À la radio et à la TV norvégiennes, il y a deux conseillers linguistiques, un pour chaque variété.
  20. Cette perspective sociolinguistique n’est pas valide dans le cas de Denise Daoust, qui a recours à des faits historiques pour expliquer le modèle de réforme et de politique linguistique du norvégien.
  21. Ces mots de Lotman (51) s’insèrent dans une argumentation plus riche et plus complexe, que nous reproduisons ici: «Choisissons les textes suivants : groupe 1 – un tableau de Delacroix, un poème de Byron, une symphonie de Berlioz ; groupe 2 – un poème de Mickiewicz, une pièce pour piano de Chopin ; groupe 3 – les textes poétiques de Derjavine, les ensembles architecturaux de Bajenov. Proposons-nous maintenant, comme cela a déjà maintes fois été fait dans différentes études sur l’histoire de la culture, de représenter les textes à l’intérieur de chaque groupe comme un seul texte, en les réduisant à des variables d’un certain type d’invariant. Ce type d’invariant pour le premier groupe sera le ‘romantisme européen’, pour le second le ‘romantisme polonais’, pour le troisième le ‘préromantisme russe’. Il va de soi qu’on peut se donner pour tâche de décrire ces trois groupes comme un texte unique en insérant un modèle abstrait d’invariant du second degré.»
  22. Dans ses conclusions, Duchêne (147) reprend cette question et défend l’historicité dans son orientation: «D’une part, parce qu’une sociolinguistique de l’hic et nunc court toujours le risque de dé-historiciser les pratiques langagières et de linéariser les discours. D’autre part, parce que les discours sur la langue sont quant à eux pleinement ancrés dans une historicité, et tendent à ré-historiciser –et probablement à réifier– la réalité sociale et à construire l’histoire comme faisceau explicatif du changement linguistique.»

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