Paru dans la collection « Les aéronautes de lʼesprit », ce livre injustement méconnu
et trop peu recensé s’intéresse à la nordicité, et
plus particulièrement à l’âme scandinave, comme l’indique son sous-titre. Mais qu’est-ce
que lʼimaginaire nordique? Et d’abord, qu’est-ce que lʼâme scandinave?
Pour Frédérique Toudoire-Surlapierre, lʼâme scandinave serait de prime abord une forme
d’identification collective axée sur la reconnaissance de chaque individu dans une
collectivité imaginée et partagée par tous, dans un lieu délimité; dans ce cas, lʼâme
scandinave « … est à appréhender dans le sens d’une identité nordique, autrement dit
ce qui en
constituerait les fondements et les spécificités» (11). Mais dans une note en bas
de page, Frédérique Toudoire-Surlapierre précise que son
étude sur lʼimaginaire nordique portera uniquement sur des pays d’europe réduits à
la Scandinavie (Danemark, Suède, Norvège, Islande) et la Finlande, et qu’en conséquence,
«l’adjectif “nordique” parfois utilisé ne le sera que comme un synonyme de scandinave»
(13, note 3). Par cette mise au point, le lecteur canadien comprendra que les régions
polaires
de l’Amérique du Nord ou encore la Sibérie seront ici exclues des analyses, ce qui
laisse néanmoins un corpus abondant et diversifié, bien que circonscrit géographiquement
aux limites de l’Europe septentrionale. Sur le plan théorique, Frédérique Toudoire-Surlapierre s’inspire entre autres des
travaux du plus important philosophe de lʼimaginaire, Gaston Bachelard (10–11, 243)
ainsi que des ouvrages essentiels du philosophe Jean-Michel Palmier (1944–1998) sur
l’expressionnisme dans les arts et — déjà — sur l’âme scandinave (91); d’ailleurs,
les nombreuses œuvres d’écrivains scandinaves étudiées ici, par exemple
Le Chemin de Damas d’August Strindberg (1849–1912), sont du calibre des meilleures pièces de Camus ou
de Beckett, bien que relativement moins connues dans le monde francophone (p. 91).
Dans son analyse à propos du Chemin de Damas, Frédérique Toudoire-Surlapierre décrit fort justement ce «drame à stations» comme
«une révélation» et «une apocalypse» (91). Une multitude d’autres thèmes philosophiques
et spirituels seront abordés dans des
œuvres-phares, comme la conception du destin dans le célèbre roman Niels Lyhne (1880), de Jens Peter Jacobsen (243), ou encore la vision panthéiste de la nature
élaborée dans ce même roman: «Au moment de mourir, c’est encore une évocation de la
nature qui lui vient à l’esprit;
le souffle, la mer, la forêt, comme un dernier symbole de vie» (244). Cette analyse
du panthéisme lié à la nature se poursuivra jusqu’au dernier chapitre
avec l’étude du roman Pan (1894), de l’écrivain nobélisé Knut Hamsun, qui reprend le thème typiquement scandinave
de «la communion de l’homme avec la nature» (316). Les nombreuses remarques de la
conclusion ne manquent pas de rappeler que cette
hypothétique «âme scandinave» se retrouverait en bonne partie chez l’observateur étranger
lui-même qui imagine
et mythifie « l’autre » dans sa nordicité, tel une utopie ou un «mythe littérarisé»
(325).
La force de Lʼimaginaire nordique: Représentations de lʼâme scandinave (1870-1920) réside dans son exhaustivité presque parfaite en considérant non seulement plusieurs
genres littéraires scandinaves de la période étudiée, y compris certaines légendes
et des mythes, mais aussi les arts, le folklore, la philosophie et la spiritualité,
sans se limiter uniquement aux traductions françaises, pourtant nombreuses. Il en
résulte un ouvrage érudit, au style élégant, qui va au-delà de la simple étude de
lʼimaginaire littéraire des pays nordiques d’Europe en rappelant que la culture scandinave
est plurielle et ne se réduit pas seulement à Peer Gynt ou aux films d’Ingmar Bergman. On y aborde également des dimensions interdisciplinaires
comme l’interculturalité ou encore le jeu des influences littéraires, car le rayonnement
international de la littérature scandinave n’a pas toujours été acquis: «Avant 1870,
les pays nordiques ont été essentiellement en position de recevoir la
culture et la littérature d’autres pays» (19). Sur le plan éditorial, seulement une
phrase boiteuse semble avoir échappé à la révision
linguistique: «Une simple allusion le conforte le lecteur dans l’écho mythique (…)»
(315).
Bien qu’on ne le mentionne pas explicitement, ce livre rigoureux et instructif sur
la nordicité européenne est adapté d’une thèse de doctorat intitulée « Étude des représentations de lʼâme scandinave dans la littérature nordique du tournant
du siècle (1870-1920) ». Puisque les Éditions Lʼimproviste ne semblent pas diffusées au Canada, on pourra
commander ce titre directement sur le site Internet de l’éditeur.